Un vent de libertés pour les femmes. C’est ce que promet le chef de l’opposition turc, Kemal Kiliçdaroglu, qui brigue la tête du pays face à Recep Tayyip Erdogan, donné toutefois nettement favori du second tour de la présidentielle, dimanche 28 mai. Pour la politologue Hazal Atay, spécialiste du genre en Turquie, le gouvernement d’Erdogan marginalise les revendications des femmes dans l’espace public depuis plus de dix ans. L’enseignante-chercheuse à Sciences Po, qui écrit une thèse sur l’élaboration des politiques de genre en Turquie, explique que celui qui dirige le pays depuis deux décennies voit les féministes comme “une menace pour la société”.
Franceinfo : Après vingt ans d’Erdogan au pouvoir en Turquie, quel bilan peut-on tirer pour les droits des femmes dans le pays ?
Hazal Atay : Nous pouvons considérer la longue durée du règne d’Erdogan en deux périodes distinctes. Pendant la première décennie, où son Parti de la justice et du développement (AKP) était au pouvoir, Erdogan a fait des réformes qui sont allées dans le sens des femmes, avec comme objectif l’adhésion à l’Union européenne. Par exemple, il a adopté un nouveau Code pénal en 2004, qui a criminalisé le viol conjugal et le harcèlement au travail. Le but était d’harmoniser les lois turques avec les règles européennes.
Mais le changement des relations avec l’UE à partir du début des années 2010 a favorisé l’émergence d’un discours contre les libertés des femmes. Cette dernière décennie (2012-2022) est plutôt marquée par une faible européanisation et une augmentation de l’autoritarisme. Le régime est devenu petit à petit très intolérant envers l’opposition, qui comprend évidemment les groupes féministes ainsi que les groupes LGBTQ+.
Il faut comprendre qu’Erdogan est contre l’égalité entre les femmes et les hommes. Il a bien porté la revendication du port du voile dans les institutions publiques, accordé finalement en 2008. Mais c’était un combat pour la liberté d’une partie des femmes seulement, pas toutes.
Quelles libertés ont reculé pour les femmes, par exemple ?
En 2012, Erdogan assurait préparer une nouvelle loi pour restreindre le droit à l’avortement, qui n’a finalement jamais vu le jour, grâce à des manifestations féministes inédites. Mais il y a tout de même eu des conséquences sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), à laquelle Erdogan et son gouvernement sont ouvertement opposés.
Comme il y a eu une volonté politique de restreindre ce droit, la stigmatisation de l’avortement a augmenté et les hôpitaux ont commencé à avoir peur de proposer ce service pourtant légal. A Istanbul, seuls trois hôpitaux publics pratiquent des IVG désormais. En règle générale, ce sont plutôt des hôpitaux privés qui le font, ce qui crée une inégalité dans l’accès aux soins. Cela s’inscrit aussi dans la logique néolibérale du gouvernement d’Erdogan, qui cherche à privatiser les services publics.
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Autre grave recul pour les libertés des femmes : en 2020, la Turquie s’est retirée de la Convention d’Istanbul [un traité international qui fixe des normes juridiques contraignantes pour lutter contre les violences sexistes]. Pour Erdogan, elle était incompatible avec la vie familiale et les traditions turques, auxquelles l’exécutif accorde une très grande importance.
“Ça prouve un déclin de la démocratie en Turquie et, surtout, que le gouvernement d’Erdogan n’a pas la volonté politique de protéger les femmes victimes de violences.”
Hazal Atay, spécialiste du genre en Turquie
à franceinfo